Vous avez dit "divorce" ?
J’ai beaucoup hésité avant d’aborder le problème qui continue à faire le « buzz » sur les réseaux sociaux, celui des femmes dites « enchaînées ».
Il ne s’agit là ni de désinvolture, ni de crainte, mais simplement de prudence et de pudeur.
Néanmoins, l’on ne peut prétendre aux plus hautes fonctions communautaires en restant muet sur des sujets aussi sensibles.
Sur la forme tout d’abord : la mise en cause ad personae du Grand Rabbin de Paris et de ses adjoints du service de Guittim est inacceptable. Non pas que leurs fonctions ni leurs titres ne les mettent à l’abri d’erreurs de jugement voire même d’erreurs de fonctionnement.
Nul n’est à l’abri d’erreurs.
Certains de nos plus grands maîtres ont trébuché malgré leur grandeur, et leurs erreurs en leur donnant une dimension humaine les ont grandis et magnifiés au yeux même de l’éternité.
Ce qui est inacceptable, c’est de condamner sans juger.
Ce qui est inacceptable c’est de juger sans entendre.
Ce qui est inacceptable, c’est de jeter l’opprobre sur des serviteurs de notre communauté qui malgré leur faiblesse, malgré leurs éventuelles erreurs assument dans des conditions extrêmement difficiles une mission d’utilité publique.
L’honnêteté des ces grands serviteurs de notre communauté ne peut être – à aucun moment - mise en cause.
Personne ne s’enrichit au service de la communauté, ni les administrateurs bénévoles, ni les professionnels qui la font vivre au quotidien.
Si cela était le cas, sans doute y aurait-il plus de vocations …
Certains écrits débordent au point que ceux qui sont les plus éloignés de notre communauté pourraient croire que celle ci est dirigée par des délinquants mafieux et misogynes n’hésitant pas à transgresser la Loi.
Il s’agit là bien évidemment d’un mensonge qui touche à l’infamie.
Il faut cesser de jeter la suspicion sur l’honnêteté de nos dirigeants.
Cette suspicion affaiblit les hommes, affaiblit les institutions et affaiblit notre communauté dans son ensemble.
Sur le fond ensuite : voilà trente ans que j’arpente littéralement le terrain des communautés juives de France.
J’ai eu malheureusement à traiter comme tous mes collègues rabbins de nombreux et très douloureux cas de rupture familiale ; de divorces difficiles ; de maris récalcitrants et puis témoigner de la priorité absolue qui est donnée dans tous les cas à la préservation des droits inaliénables de la femme.
Dans l’immense majorité des cas, les choses même si elles se passent de manière compliquée finissent par se régler aux mieux des intérêts …… des enfants.
Car il ne faut pas oublier que dans de nombreux cas, les couples qui se brisent sont aussi des parents qui se séparent.
Pensez vous réellement que les enfants puissent sortir indemnes d’un tel conflit ?
Si les adultes que nous sommes avaient assez d’intelligence pour faire passer les intérêts de leurs enfants avant leur propre égoïsme, les procédures, tant civiles que religieuses s’en trouveraient allégées.
Que penser aussi de l’immixtion –parfois pour d’excellente raisons- des familles dans un conflit qui ne les regarde pas ?
Elles peuvent, elles doivent, accompagner les protagonistes d’une rupture affective mais non se substituer à eux.
Mais me direz vous, il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui, au XXIème siècle, il se trouve de par le monde des femmes, jeunes ou moins jeunes qui restent dans l’attente de leur Guet depuis des années.
C’est vrai !
Ce problème existe, et le monde rabbinique –contrairement à ce qui ici et là peut être affirmé- cherche des solutions compatibles avec les exigences de la Halakha, y compris par les tenant d’un judaïsme de stricte observance.
Cela est vrai partout, y compris en France, où nos instances en relation permanente avec les Grands Rabbinats d’Israël travaillent depuis des années sur cet épineux sujet.
Pour celui-ci comme pour d’autres, la solution peut prendre du temps.
Mais la communauté doit savoir que le rabbinat y travaille. Un de mes collègues Grand Rabbin a récemment consacré à ce sujet sa thèse de doctorat en Droit.
Une des pistes à suivre est certainement celle qui consiste largement en amont, à éduquer nos jeunes, pour que la femme retrouve sa digne place dans le cercle familial, communautaire et social.
Il ne s’agit évidemment pas de faire des femmes des « hommes au féminin » mais – même si cela va à l’encontre de la doxa actuelle, de rétablir le rôle et la place de chacune de ces composantes sociales que sont l’homme et la femme.
Apprendre qu’il n’y a rien ni dans nos textes, ni dans notre tradition qui confère à la femme une place ou un rôle inférieur à celui de l’homme.
Faire comprendre que les partenaires de la vie – quelles qu’en soient les circonstances- n’ont vis à vis les uns des autres que de très peu de droits, mais énormément de devoir.
En un mot replacer la famille au cœur de notre processus éducatif.
Lorsque le respect de l’autre aura enfin reconquit le territoire sur l’égoïsme, lorsque la raison aura réussi à vaincre la passion, ces problèmes ne se poseront même plus.
Alors, plutôt que de réfléchir à la gestion des séparations, plutôt que de penser à la résolution des conflits, jetons toutes nos forces dans la prévention : réapprenons à vivre ensemble.
Rabbin Alain SENIOR