Chelakh Lekha ou l'espoir d'un peuple
Voilà des années que les enfants d’Israël, alors même qu’ils n’étaient que des esclaves, rêvaient de cette Terre que D. avait promis à Avraham, Isaac et Yaacov.
Cela faisait plus de deux siècles que de père en fils et de mère en fille ils se transmettaient cet espoir : un jour, un libérateur se lèvera, et il amènera les enfants d’Israël sur cette terre dont la légende disait qu’elle débordait de richesses.
Ce libérateur est arrivé, comme la prophétie que l’on se racontait en cachette le promettait, et tous ont pu voir, sentir, entendre que D. qui si longtemps était resté silencieux s’était enfin souvenu de Sa promesse.
Moshé en Son nom, s’était opposé avec succès à Pharaon, et tout le peuple avait pu fuir cette terre de misère.
Les miracles s’étaient succédés à un rythme tel que même les plus sages, même les plus anciens ne savaient plus où finissait le naturel et où commençait le surnaturel.
Et cet événement incroyable, inimaginable au pied du Mont Sinai !
Cette ferveur, cette terreur, ce bouleversement des corps et des âmes !
Puis cette marche, ce doux sentiment de sécurité qui nous habite, nous avançons tous ensembles, d’un même pas, d’une même foi.
On raconte dans le camp que nous ne sommes plus qu’à quelques jours de notre destination ; une certaine fébrilité s’empare des hommes.
Depuis des semaines Moshé tente de nous rassurer.
D. nous accompagnera dans la conquête de ce pays, nous n’avons rien à craindre ! « Souvenez vous des miracles qu’Il a accomplit pour nous sortir d’Egypte, pour nous faire traverser la Mer Rouge alors que tout semblait perdu. Souvenez vous de ce que vous avez vu et entendu au pied du Mont Sinai ! Souvenez vous …. Souvenez vous ! »
Oui bien sûr chacun de nous se souvient, mais là tout de même c’est différent !
Certains même commencent à douter: et si tout cela n’était que des histoires, des légendes que le temps a déformées jusqu’à idéaliser ces territoires au delà du raisonnable.
Des groupes se forment ici et là.
La fébrilité devient anxiété, l’anxiété se transforme en doute et le doute devient peur.
Il faut en avoir le cœur net.
Après tout peut-on s’engager à déclencher une guerre de conquête sans même savoir qui l’on va combattre ?
Et puis il y a nos femmes, nos enfants, nos troupeaux !
Petit à petit les groupes convergent vers la tente de Moshé. Des voix s’élèvent, il faut que l’on envoie des espions, il faut que nous ayons des renseignement précis avant de déclencher cette guerre.
Ca fait des heures que nous sommes là. Le petit groupe de quelques dizaines de personnes est devenu une foule. Il y a là des milliers d’hommes et de femmes qui attendent. La plupart d’entre eux ne savent même pas ce qu’ils attendent vraiment.
Le bruit est devenu assourdissant.
Soudain, la tente de Moshé s’ouvre.
Notre Chef sort. Il est aussi blanc que la tunique que porte Aharon son frère, le Grand Prêtre.
Il a l’air à la fois très triste et irrité. Petit à petit le silence se fait.
Moshé nous regarde durant de longues minutes, et chacun d’entre nous se sent transpercé par ce regard.
Les uns après les autres, les hommes baissent les yeux. Le silence est maintenant total.
Et Moshé s ‘adresse à nous.
Il a l‘air tellement las.
Sa voix qui pourtant n’est pas puissante est audible par tous, et chacun de nous comprend : c’est D. qui s’exprime à travers Moshé.
« D. a entendu vos récriminations et vos doutes, Il ne s’oppose pas à votre projet, et voici ce qu’Il m’a dit : si tu veux envoyer des espions choisis les parmi les notables de chaque tribu. Et parmi ceux ci, désigne ceux qui allient à la fois force et sagesse, alors voici ceux qui partiront »….
La suite de l’histoire vous la connaissez, notre Parasha nous la raconte.
Les explorateurs entrent clandestinement en terre de Canaan, et reviennent après quarante longues journées. Leur récit est effrayant. Tellement effrayant que le peuple tente de se révolter. Il s’en faut de peu que Moshé et Aharon ne soient lapidés.
La peur qui était née il y a quelques semaines s’est transformée en terreur.
Ceux qui ont bravé l’armée Egyptienne, ceux qui ont affronté le désert, refusent d’aller plus loin. Certains même veulent retourner sur leurs pas et revenir en Egypte.
La réaction Divine est à la mesure de l’affront. Cette génération qui malgré les preuves quotidiennes de l’amour qu’Il lui porte, doute de D. . Et puisque qu’elle doute, elle ne mérite pas d’être celle par laquelle se concrétisera la promesse de l’Eternel.
Tous, sauf Yehoshoua et Calev vont périr dans le désert.
Le prix à payer est énorme.
Quarante années d’errance dans un environnement hostile, quarante années à méditer sur cette occasion perdue. Quarante années pour arriver à comprendre le lien qui unit dans la même sainteté, le temps, l’espace et l’homme juif.
En effet, et comme cela est habituellement le cas, il y a derrière la lettre du texte sacré de notre Torah, une lecture interprétative, que nos sages au fil des siècles n’ont cessé d’enrichir. Dans cette lecture, tout fait sens.
Essayons de cheminer ensemble sur cette voie.
Deux évènements significatifs et apparemment sans aucun liens sont mentionnés dans notre Parasha.
L’un lié à l’espace, c’est l’histoire des explorateurs que nous venons de revivre et qui en refusant de pénétrer en Eretz Israel en contestent le caractère sacré et l’autre lié au temps, c’est l’histoire du « mekoshesh », l’homme qui en ramassant du bois le jour du Shabbat transgresse la Sainteté attachée à ce jour.
Attardons nous quelques minutes sur cette notion de sainteté.
Nos sages, en exploitant précisément ce passage, expliquent qu’il y a en fait deux sortes de sainteté : l’une qui a un caractère permanent, l’autre qui a un caractère provisoire.
De la même manière, il y a des endroits où cette sainteté est permanente, c’est le cas d’Eretz Israel, et d’autre où la sainteté n’est que provisoire. C’est par exemple le cas du Mont Sinai, qui n’a été saint que le temps de Matan Thora, c’est aussi le cas du désert qui ne peut être que provisoirement le réceptacle de la sainteté., c’est aussi et certainement le cas de tous les endroits où le peuple juif est amené à s’installer provisoirement. La Sainteté de l’endroit n’est pas un état permanent, elle n’est que concomitante à son occupation par ceux que D. a choisi pour porter Son message à l’humanité.
Seule Eretz Israël, quels que soient les peuples qui s’y installent est qualifiée – et pour l’éternité - de « Eretz Hakodech », de Terre Sainte .
La dimension spatiale de la « Kedousha »: c’est Eretz Israel.
Quant à la sainteté du temps, nous la connaissons bien, elle est récurrente, de mois en mois nos fêtes la balisent. Mais, cette sainteté n’est elle aussi, que relative. Le calendrier juif est fixé par les Talmidé Hakhamim, les sages de l’époque pré et post talmudique. Le seul marqueur immuable de la sainteté du temps, c’est le Shabbat qui lui a été fixé pour toujours par D. Lui-même (Exode XXI,17)
Et soudain, nous comprenons le lien qui unit les deux récits.
Dans un cas comme dans l’autre, l’homme va trop loin. Il crois pouvoir de son propre chef décider de ce qui est absolu, et de ce qui est relatif. Dans un cas comme dans l’autre, la sanction est à la mesure de l’effronterie manifestée envers le Maître du Monde.
La génération du désert ne connaîtra pas le bonheur de l’installation des enfants d’Israël sur leur terre, et ne pourra participer de manière pleine à l’accomplissement du dessein Divin.
Le Mekochech, nous dit Rabbi Akiva (Talmud Shabbat 96B) n’est autre que Tselophrad qui meurt dans le désert sans descendance mâle, mettant ainsi en péril la part à la fois matérielle et spirituelle de sa branche familiale à la réalisation du projet Divin.
(Notons que ce sont ses filles – figures féminines emblématiques du droit des femmes dans la Bible- qui réussiront à rétablir leur famille dans ses droits en Eretz Israël… Mais ça c’est une autre histoire).
En ayant confondu immanence et transcendance, ils se sont les uns et les autres engagés dans une impasse spirituelle qui les a chassés de la scène de l’Histoire.
Agissons ensemble mes chers amis, pour que nous puissions ne plus connaître de doutes et bénéficier rapidement de la conjonction de la sainteté de l’espace et du temps dans Jérusalem réunifiée pour l’éternité.
Biméra beyaménou.
Amen
13 juin 2014 / 15 Sivan 5774
Rabbin Alain Shlomo SENIOR