Pour en finir avec la rumeur
Notre communauté est magnifique, elle est attachante et en même temps parfois très étonnante.
C’est à croire qu’elle cherche en elle les raisons de son propre malaise existentiel.
Voilà un peu plus d’un siècle est né dans l’Allemagne des Lumières un mouvement de « régénération culturelle des juifs » qui s’appelait la Haskala. Ce mouvement avait pour objectif de permettre aux juifs d’Europe orientale d’adopter les codes dits « modernes » de la société qui les nourrissait.
Il était authentiquement révolutionnaire en cela qu’il poussait une société civile en cours de libéralisation et qui assimilait à grand peine les valeurs que la Révolution Française avait exportées avec les armées Napoléoniennes, à accueillir les juifs d’Europe comme des citoyens et non plus comme des parias . Quant aux juifs, ce mouvement leur donnait enfin la possibilité d’accéder à des fonctions et carrières qui jusqu’alors leur étaient interdites.
Le monde juif, dont l’identité avait été préservée jusqu’alors par la stricte observance des rituels et pratiques et dont l’essentiel des ressources intellectuelles était absorbé par l’Etude (le Limoud) dans les Instituts Talmudiques (Yeshivoth) ne voyait évidemment pas d’un bon œil cette ouverture sociale et sociétale. D’après leur analyse ce mouvement conduirait inexorablement les communautés juives européennes à disparaître.
C’est à ce moment là qu’est née en Europe, la distinction entre le monde orthodoxe, qualifié de « noir » et les représentants du judaïsme dit « éclairé ».
Il convient bien entendu de noter que ces deux mondes n’ont jamais été en rupture et que globalement, la référence qui continuait à régir la dimension juive de la vie des juifs était la Halakha, la loi juive.
Et même si tous n’étaient pas d’accord sur son interprétation celle ci restait un élément indiscutable de référence.
Les institutions religieuses de la communauté organisée, en particulier les institutions consistoriales, ont toujours depuis plus de deux cents ans revendiqué leur attachement au judaïsme orthodoxe, fut-il un judaïsme orthodoxe éclairé. Cette revendication n’a pas empêché ces institutions de s’ouvrir à la société environnante sans pour autant s’assimiler à elle. J’en veux pour preuve la parfaite compatibilité du rôle de Président des Consistoires (organismes éminemment orthodoxes gérés par des rabbanim dont l’orthodoxie ne fait peur qu’à leurs contradicteurs) avec le titre de Docteur en Médecine pour l’actuel, dirigeants de sociétés côtées pour d’autres ou banquiers d’affaires pour certains.
Le procès en « noirceur » (entendez orthodoxie intransigeante et rétrograde) qui est fait à certain d’entre nous est donc un procès illégitime.
Alors de quoi s’agit-il au fait ?
Y aurait-il donc dans notre communauté aussi un « délit de faciès » ? La couleur du costume ferait-elle le Rabbin ?
Le Rabbin par fonction, par mission, par vocation doit jouer son rôle de protecteur de la Halakha. Quels qu’ils aient été, les Grands Rabbins de Paris, et les Grands Rabbins de France se sont toujours situés sur cette ligne.
Alors oui, je l’affirme sans ambages, si l’Eternel me permet de servir ma Communauté au plus haut niveau, je m’inscrirai dans la lignée de mes illustres prédécesseurs qui de Jacob KAPLAN à Gilles BERNHEIM n’ont cessé de faire du Consistoire Central une institution respectée du monde entier. Il est largement temps d’en finir avec les anathèmes, les rumeurs, et les tentations séparatistes.
Notre communauté, notre institution valent mieux que ça.
5 Juin 2014 / 7 Sivan 5774
Rabbin Alain Shlomo SENIOR